Guylain Vignolles
est préposé au pilon et mène une existence maussade et solitaire, rythmée par
ses allers-retours quotidiens à l’usine. Chaque matin en allant travailler,
comme pour se laver des livres broyés, il lit à voix haute dans le RER de 6H27
les quelques feuillets qu’il a sauvé la veille des dents de fer de la Zerstor
500, le mastodonte mécanique dont il est le servant.
Un jour, Guylain
découvre les textes d’une mystérieuse inconnue qui vont changer le cours de sa
vie…
Mon avis :
Un employé
solitaire, un vieil ami cul de jatte, un gardien qui manie l'alexandrin, une
dame pipi, toute une maison de retraite, et puis, les livres, la lecture,
l'écriture. Vous mélangez tout ça et il en sort un conte très original qui se
dévore d'une traite. Jean-Paul Didierlaurent nous emmène dans un monde original
et sensible pour une histoire très
agréable à lire. Le style est clair, léger, on se sent bien dans l'histoire,
réaliste, pas réaliste, je ne sais pas décider, j'ai envie que ce soit réel,
mais comment prendrait on quelqu'un qui chaque matin fait la lecture à haute
voix dans le train ? Après lecture de ce livre, je dirais bien, mais est ce
bien sur dans la vraie vie ? Bref, un conte, une histoire d'amour … à vous de
découvrir. J'ai adoré.
Extraits :
Peu importait le fond pour Guylain. Seul l’acte de lire revêtait de
l’importance à ses yeux. Il débitait les textes avec une même
application acharnée. Et à chaque fois, la magie opérait. Les mots en
quittant ses lèvres emportaient avec eux un peu de cet écœurement qui
l’étouffait à l’approche de l’usine.
"C'est droit comme une épée, un alexandrin, lui avait un jour expliqué
Yvon, c'est né pour toucher au but, à condition de bien le servir. Ne
pas le délivrer comme de la vulgaire prose. Ça se débite debout.
Allonger la colonne d'air pour donner du souffle aux mots. Il faut
l'égrener de ses syllabes avec passion et flamboyance, le déclamer comme
on fait l'amour, à grands coups d'hémistiches, au rythme de la césure.
Ça vous pose un comédien, l'alexandrin. Et pas de place pour
l'improvisation. On ne peut pas tricher avec un vers de douze pieds,
petit."
On attend d'une dame-pipi qu'elle nettoie, pas qu'elle écrive. Les gens
peuvent concevoir que je fasse des mots flèchés, des mots croisés, des
mots mêlés, des mots cachés, des mots enfermés dans toutes sortes de
grilles. Ces mêmes gens peuvent également admettre que je lise à mes
heures perdues des romans-photos, des hebdos féminins, des magazines
télé, mais que je pianote de mes doigts abîmés par l'eau de Javel sur le
clavier d'un ordinateur portable pour y coucher mes pensées, ça, ça
leur interpelle l'entendement. Pire, ça porte à suspicion. Il y a comme
un malentendu, une erreur de casting.