Au Japon, à la fin
de XIXe siècle, le jeune Yuko s'adonne à l'art difficile du haïku. Désireux de
perfectionner son art, il traverse les Alpes japonaises pour rencontrer un
maître. Les deux hommes vont alors nouer une relation étrange, où flotte
l'image obsédante d'une femme disparue dans les neiges.
Dans une langue
concise et blanche, Maxence Fermine cisèle une histoire où la beauté et l'amour
ont la fulgurance du haïku.
On y trouve aussi le
portrait d'un Japon raffiné où, entre violence et douceur, la tradition
s'affronte aux forces de la vie.
Mon Avis :
Un très court roman
qui nous emmène à la source de la création poétique japonaise, dans une
histoire toute simple, on suit le parcours de Yuko qui va s'initier à l'univers
du haïku.
Chaque chapitre est
introduit avec un haïku. Le style est lui aussi très poétique, et si le texte
est très court et donc très vite lu, on en sort avec l'envie de redécouvrir
cette forme un peu étrange de poésie et le monde qu'elle nous permet de
côtoyer, bien différents des formes habituelles de notre poésie occidentale.
Quelques extraits :
La poésie n’est pas
un métier. C’est un passe-temps. Un poème, c’est une eau qui s’écoule. Comme
cette rivière. Yuko plongea son regard dans l’eau silencieuse et fuyante. Puis
il se tourna vers son père et lui dit : C’est ce que je veux faire. Je veux apprendre
à regarder passer le temps.
Un matin, le bruit
du pot d’eau qui éclate dans la tête fait germer une goutte de poésie, réveille
l’âme et lui confère sa beauté. C’est le moment de dire l’indicible. C’est le
moment de voyager sans bouger. C’est le moment de devenir poète.
Ne rien enjoliver.
Ne pas parler. Regarder et écrire. En peu de mots. Dix-sept syllabes. Un haïku.
Un matin, on se
réveille. Il est temps de se retirer du monde pour mieux s’en étonner. Un
matin, on prend le temps de se regarder vivre.
Mais il savait une
chose, une seule chose, triste et belle : c’est qu’il allait vieillir, bien
sûr, et finir par mourir un jour, mais jamais l’amour qu’il portait à cette
femme ne mourrait, et pas davantage ce visage endormi sous la glace ne
vieillirait.
Oui, une femme. Car
l’amour est bien le plus difficile des arts. Et écrire, danser, composer,
peindre, c’est la même chose qu’aimer. C’est du funambulisme. Le plus
difficile, c’est d’avancer sans tomber. Soseki, lui, a fini par tomber pour
l’amour d’une femme. Seul l’art l’a sauvé du désespoir et de la mort. Mais
c’est une longue histoire, et elle va t’ennuyer, je crois.
Neige était devenue
funambule par souci d’équilibre. Elle, dont la vie se déroulait comme un fil
tortueux, entrelacé de nœuds que nouaient et dénouaient la sinuosité du hasard
et la platitude de l’existence, excellait dans l’art subtil et périlleux consistant
à évoluer sur une corde raide.
Pourquoi ? En
vérité, le poète, le vrai poète, possède l’art du funambule. Écrire, c’est
avancer mot à mot sur un fil de beauté, le fil d’un poème, d’une œuvre, d’une
histoire couchée sur un papier de soie. Écrire, c’est avancer pas à pas, page
après page, sur le chemin du livre. Le plus difficile, ce n’est pas de s’élever
du sol et de tenir en équilibre, aidé du balancier de sa plume, sur le fil du
langage. Ce n’est pas non plus d’aller tout droit, en une ligne continue
parfois entrecoupée de vertiges aussi furtifs que la chute d’une virgule, ou
que l’obstacle d’un point. Non, le plus difficile, pour le poète, c’est de
rester continuellement sur ce fil qu’est l’écriture, de vivre chaque heure de
sa vie à hauteur du rêve, de ne jamais redescendre, ne serait-ce qu’un instant,
de la corde de son imaginaire. En vérité, le plus difficile, c’est de devenir
un funambule du verbe.
Il y a deux sortes
de gens. Il y a ceux qui vivent, jouent et meurent. Et il y a ceux qui ne font
jamais rien d’autre que se tenir en équilibre sur l’arête de la vie. Il y a les
acteurs. Et il y a les funambules.
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