Middlemarch
(1871-1872) est sans doute le plus beau roman de George Eliot, en tout cas son
roman le plus complet (le sixième sur sept). Deux intrigues sentimentales
principales, l'histoire des deux mariages de Dorothea et le mariage malheureux
de Lydgate, jeune médecin ambitieux, avec la vulgaire Rosamond Vincy, se
détachent sur un fond foisonnant de personnages et d'événements, d'épisodes
intéressants, amusants, émouvants. Un des charmes de George Eliot est dans
cette surabondance de détails. Nous avons fait figurer en préface un beau texte
de Virginia Woolf sur George Eliot : " L'issue fut triomphale pour elle,
quel qu'ait pu être le destin de ses créatures ; et quand nous nous rappelons
tout ce qu'elle a osé, tout ce qu'elle a accompli, la façon dont, malgré tous
les obstacles qui jouaient contre elle (le sexe, la santé, les conventions),
elle a cherché toujours plus de savoir, toujours plus de liberté jusqu'au jour
où le corps, accablé par son double fardeau, s'effondra, épuisé, nous devons poser
sur sa tombe toutes les brassées de lauriers et de roses que nous possédons.
"
Mon avis :
L'intrigue de Middlemarch tourne autour de différents
mariages.Celui de Dorothéa avec M. Casaubon puis le long suspense de son second mariage, celui de
Lydgate, le médecin ambitieux avec Rosamond Vincy et celui de Mary Garth avec Fred Vincy, sans oublier les mariages
déjà installés qui interviennent dans l'histoire.
Nous sommes donc avant, pendant, après différents
mariages, tous ayant des liens entre eux. George Eliot nous brosse sur cette
trame un magnifique portrait de la campagne anglaise, une chronique très large
d'une communauté dans tous ses travers.
Ecrit au 19ème siècle sur des personnages et des
évènements de ce même siècle, ce roman n'a pas pris une ride, la langue
utilisée est très moderne et malgré sa longueur, se lit très facilement. La
traduction de Sylvère Monod est remarquable.
Je conseille de lire la préface qu'a écrite Virgina
Woolf seulement après avoir fini le roman, surtout si c'est le premier de
George Eliot que vous lisez.
Quelques extraits :
Mon père ne
changeait jamais d'avis, et il faisait de simples sermons moraux sans
arguments, et c'était un homme droit - le plus droit du monde. Quand vous me
trouverez un homme droit fait d'arguments, je vous confectionnerai un bon dîner
rien qu'en vous lisant le livre de cuisine. Telle est mon opinion, et je crois
que tous les estomacs la confirmeront
Certes, de telles comparaisons risquent
d'être trompeuses, car nul homme n'était plus incapable de brillante
affectation que M. Casaubon ; il avait un caractère aussi authentique que
n'importe quel ruminant, et il n'avait pas contribué à faire naître des
illusions sur son propre compte. Comment se faisait-il qu'au cours des semaines
écoulées depuis son mariage Dorothea eût, non pas discerné clairement, mais
senti avec un abattement étouffant, que les vastes perspectives et l'abondance
d'air frais qu'elle avait rêvé de trouver dans l'esprit de son mari eussent été
remplacées par des antichambres et des couloirs tortueux qui ne menaient nulle
part ? Je suppose que c'est parce que pendant les fiançailles tout est
considéré comme provisoire et préliminaire, et que le plus modeste échantillon
de vertu ou de talent est censé garantir l'existence de précieuses réserves que
feront découvrir les amples loisirs du mariage. Mais une fois franchi le seuil
du mariage, l'attente se concentre sur le présent. Quand on est embarqué pour
le voyage conjugal, il est difficile de ne pas se rendre compte qu'on avance
pas et que la mer n'est pas en vue - bref, qu'on est en train d'explorer un
bassin fermé.
Chez Will existait bien l'intention de
toujours se montrer généreux, mais notre langue agit comme une petite gâchette
qui se trouve généralement libérée avant que ne puissent intervenir nos
intentions permanentes.
Ces boissons renferment la vérité dans la
mesure où elles ne mentaient pas au point de faire apparaître gai le pauvre
Dagley ; elles rendaient son
mécontentement moins taciturne que d'habitude. Il avait aussi absorbé une trop
forte dose de conversation politique vaseuse, tonique dangereusement perturbant
pour son conservatisme rustique, qui consistait à estimer que tout ce qui
existe est mauvais et que tout changement risque de faire empirer les choses.
- Fort bien
monsieur le docteur Triste-Figure, dit Rosy, dont les fossettes se creusèrent.
Je proclamerai désormais que je raffole des squelettes, des voleurs de
cadavres, des fragments de corps dans des flacons, et des disputes avec tout le
monde, qui aboutissent à vous faire mourir misérablement.
- Non, non, ce n'est pas si
terrible que ça, dit Lydgate, qui renonça à protester et se mit à câliner
sa femme avec résignation.
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