Chantre de la bohème
Montmartroise, Pierre Mac Orlan fut aussi un des maîtres du roman d'aventures.
Son œuvre participe de ce qu'on a pu appeler la " découverte poétique du
monde ". Avec Rues secrètes, c'est à un voyage littéraire que nous sommes
conviés. Ce reportage au sens le plus noble du terme nous conduit dans les
" quartiers réservés " de plusieurs grandes villes - notamment
d'Afrique du Nord - au milieu des années 1930 : Tunis, Alger, Casablanca, mais
aussi Barcelone, Strasbourg et Berlin. Prostituées mélancoliques, légionnaires
tendres ou assassins, petits Blancs furtifs, princes ou voyous en quête de
plaisir et d'argent, proxénètes, indics et policiers, mille personnages
traversent ce chef-d'œuvre du pittoresque social, tous ennoblis par la
tendresse attentive du regard de Mac Orlan.
Mon avis :
Pierre Mac Orlan
endosse dans ce livre son habit de journaliste pour s'engager dans une
description des "quartiers réservés". Nous sommes au début des années
1930.
Le livre est découpé
en diverses villes (Tunis, Casablanca, Alger, Barcelone, Berlin , Marseille et
Strasbourg) qu'il regarde au travers des quartiers où s'exerce la prostitution.
Autant les villes
d'Afrique du nord sont traitées avec un certain exotisme et un certain
paternalisme (c'est pourquoi, il me
semble important de rappeler que ce livre est écrit au début des années 1930
pour éviter les anachronismes), autant on voit apparaître pour les villes plus
européennes, d'autres angles pour le regard, comme le banditisme, la
misère où encore le puritanisme ambiant.
Dans le Berlin de
ces années là , Pierre Mac Orlan montre la misère et l'arrivée du nazisme et je
me suis surpris à trouver une certaine concordance des temps avec les montées
spectaculaire de l'extrême droite dans des pays en forte crise à l'heure actuelle.
A Marseille, c'est le lien avec le banditisme. A Barcelone, c'est plutôt
l'observation des mœurs des autorités qui font disparaître les cotés peu
reluisants de la ville à l'occasion de l'exposition universelle. Et enfin, à Strasbourg, il nous livre une analyse des
conséquences que pourrait avoir le puritanisme et la fermeture des maisons
closes pour la santé publique, finalement des sujets que l'on voit reparaître
assez régulièrement dans l'actualité.
Un regard donc de
journaliste, assez moderne dans son approche et ses analyses, le style restant
vraiment littéraire. L'écriture n'a pas trop vieillie et ce livre se lit
facilement même si le sujet n'est pas dans nos préoccupations.
Quelques extraits :
Naturellement, comme au début de toutes les
explorations de ce genre, un ami m'attendait. Je ne pouvais espérer un meilleur
guide. L'un et l'autre, nous savions flâner et tomber dans un certain monde
sans nous raidir. Je déteste pénétrer en moraliste en des lieux où les
moralistes n'ont que faire. Il n'y a
guère de plus affreuse hypocrisie. j'aime les quartiers réservés pour les
raisons que j'ai dites plus haut, et je ne me sens pas le besoin de juger ceux
qui les habitent pour en vivre et ceux qui les fréquentent pour des causes qui
ne me regardent point. j'étais là, tout simplement parce que le spectacle m'émouvait, qu'il
était rare, qu'il ne manquait point de distinction. En évitant de consommer
dans ces royaumes de la chair jeune ou flétrie, on y apprend bien des choses.
J'étais en route pour apprendre et voir, pour "m'émerveiller de
voir".
Quand tous les
bordels du monde seront remplacés par des autoclaves où l'on purifiera clients
et filles, on assistera à de curieux spectacles clandestins, et les créations
de cette exaltation secrète seront terrifiantes. On connaît les résultats de la
lutte contre l'alcool aux Etats Unis,. Il serait cruel d'insister sur les
résultats de cette expérience de bigots exaspérés.
A celles-là, à ces
ruines vivantes qui peuvent habiter des rues comme la rue Vasaet-el-Gir, au
Caire, on peut offrir par charité la "prise" libératrice qui leur
fera entrevoir une destinée plus conforme aux idées générales que l'on est en
droit d'accueillir au sujet du bonheur humain. Malheureusement, il n'est pas
que les désespérés légitimes pour avoir recours à la drogue. Le snobisme crée
un besoin nouveau, le snobisme et la nervosité imbécile d'une époque
particulièrement inquiétante.
Ce sont des hommes
qui deviennent précieux tout d'un coup, puis qui disparaissent, se fondent dans
la nuit comme un morceau de sucre dans un liquide chaud. Ces hommes là, on est
parfois content de les rencontrer au coin d'une rue d'une ville inconnue, devant
un mystère romantique dont il faut se méfier. L'homme qu'on rencontre la nuit
se fait un vrai plaisir de remettre les choses au point.
A priori, ce n'est pas le genre de récits que j'aime lire habituellement... Mais ta présentation est très attrayante.
RépondreSupprimerMerci,j'aime beaucoup le style de Pierre Mac Orlan qui est vraiment agréable, ce n'est sans doute pas le premier livre à lire de lui, ses romans sont plus accessibles, sans parler de ses chansons.
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