mercredi 13 juin 2012

La langue maternelle - Vassilis Alexakis

Présentation de l'éditeur :

Pavlos est rentré à Athènes sans raison précise et sans même réserver son billet de retour pour Paris où il vit et travaille depuis plus de vingt ans. Il redécouvre une ville, une culture, ses origines, un pays très jeune et très vieux à la fois et choisit bientôt d'élucider un mystère qui semble contenir toutes ses incertitudes : quel est donc le sens de la fameuse lettre E jadis suspendue à l'entrée du temple d'Apollon à Delphes ? Pavlos ne néglige aucune piste pour essayer de résoudre l'énigme : de Jannina à Delphes, il parcourt tout l'ouest du pays, interroge les archéologues, les chauffeurs de taxi et même son père fabulateur... Pavlos s'interroge enfin sur le silence de sa mère absente. N'est-ce pas le silence que la lettre E évoque pour lui ? Il ne semble pas pressé de trouver la réponse : l'énigme lui tient compagnie. Il se dit que le but de l'écriture n'est peut-être pas d'éclaircir mais de multiplier les mystères. À l'évidence, sa langue maternelle, ta ellènika, commence bien par cette lettre E. Et s'il en était ainsi de tous les mots ?


Mon avis :
  
Pavlos, dessinateur de presse, de retour dans son pays nous offre son regard sur les gens qu'il côtoie, sur les lieux qu'il redécouvre, sur ses souvenirs. Il nous entraîne  dans une  quête  dont le point de départ est la lettre Epsilon  qui était suspendue à l'entrée du temple d'Apollon  à Delphes . Ainsi, d'Athènes à Delphes en passant par Jannina, il part en quête de  ses propres souvenirs qui rebondissent au gré d'une rencontre d'un paysage, d'un mot entendu ou soudainement apparu. Il collectionne peu à peu les mots commençant par cet epsilon source de sa quête. Il retrouve peu à peu sa mère disparue, si silencieuse à coté de ce père diseur d'histoires.

Une écriture "au fil de la pensée", pleine de  retours en arrière, dans une langue poétique qui va jusqu'à la racine des mots. Les premières pages m'ont un peu désorienté mais tout de suite j'ai été pris par cette façon d'écrire. Un effet secondaire plutôt agréable, cette lecture m'a donné envie de retourner en Grèce, avec un regard différent.


Quelques extraits : 

"Ce quartier n'est pas un endroit, ai-je pensé, c'est une époque. je traverse une époque." J'ai ressenti une douleur inexplicable en voyant une collégienne d'une douzaine d'année, avec un tas de livres sous le bras, en train d'ouvrir la porte de sa maison. Je suis passé à coté de mon ancienne école primaire. Le mur qui protège la cour de récréation a été surélevé, il est haut de quatre mètres. J'ai entendu les cris des enfants. Soudain un ballon de basket est passé par dessus le mur et a atterri presque devant moi. Il a rebondi sur le capot d'une voiture puis au milieu de la chaussée et s'est arrêté devant l'entrée d'un immeuble. Il n'y avait personne dans la rue. J'ai ramassé le ballon et d'un coup de pied je l'ai expédié dans la cour. Aux cris des enfants j'ai deviné que le jeu avait repris. "je suis venu pour vous renvoyer le ballon", ai-je pensé.

Je lis deux pages d'un livre, trois d'un autre. Je n'arrive pas à fixer vraiment mon attention. Je me promène sans but à la surface des choses. Mes voisins travaillent sur un mémoire, j'imagine. Je ne sais pas sur quoi je travaille. "j'apprends", pensé-je. Mais voilà que j'écris aussi, sur un sujet que je ne connais pas. Mon audace m'étonne. Je suis probablement influencé par les chauffeurs de taxi athéniens qui parlent de tout avec une grande aisance.

"Est-ce un phénomène important qui mérite réflexion ? " J'ai décidé qu'il n'en valait pas la peine. "Il n'arrive jamais rien, ai-je pensé. Simplement, on entend parfois le bruit infime que produit le temps en moulant du vide."

Je suis assis face à la fenêtre, qui est ouverte, mais je ne vois rien, naturellement. Je quitterai une fois de plus Jannina en n'emportant aucune image de la ville. Je me souviendrai de son brouillard. Jannina a l'élégance de ne pas charger la mémoire de son visiteur d'images superflues, qui seront de toute façon effacées. Elle offre le tableau d'une ville déjà oubliée. Elle dépose dans la mémoire de son visiteur un petit morceau de coton.

Ne vous occupez pas de Plutarque a-t-il dit. Vous avez trouvé un chemin à vous. Il faut le suivre jusqu'au bout, il vous mènera bien quelque part. Je crains seulement que l'epsilon vous manque quand vous aurez rassemblé les quarante mots … Mais peut être n'en aurez vous plus besoin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire