Un adolescent, Kafka Tamura, quitte la maison familiale de Tokyo pour échapper à une malédiction œdipienne proférée par son père. De l'autre côté de l'archipel, Nakata, un vieil homme amnésique, décide lui aussi de prendre la route. Leurs deux destinées s'entremêlent pour devenir le miroir l'une de l'autre, tandis que, sur leur chemin, la réalité bruisse d'un murmure envoûtant.
Mon avis :
Un adolescent qui
fugue pour fuir une prédiction, un ami imaginaire nommé corbeau, un vieil homme
qui parle avec les chats, un chauffeur de poids lourds généreux, un
bibliothécaire androgyne, une directrice de bibliothèque au lourd passé, d'étranges créatures venues d'on ne sait où,
ajouter une grosse pincée du mythe
d'Œdipe et vous obtenez ce magnifique "Kafka sur le rivage" de
Murakami.
J'ai adoré d'un bout
à l'autre. On est bien dans le même genre d'univers que 1Q84, une grosse partie
de réalité bien terre à terre et puis soudain on bascule dans un fantastique
extrêmement poétique parfaitement intégré à l'histoire. Même les personnages
parlent de métaphores pour ce qu'ils vivent.
Certains ont parlé
de "conte philosophique", oui, on peut parfaitement le voir comme
cela, les problématiques évoquées sont universelles : le désir, l'amour, la
mort, la vieillesse … Mais dois-je en dire plus ?
Non, le mieux à
faire est de le lire, de rentrer dans ce merveilleux univers poétique et peut
être y trouverez vous aussi de belles leçons de vie.
Au fil de la lecture :
Je regarde sa poitrine. À chacune de ses
respirations, cette partie ronde de son anatomie se soulève et s’abaisse comme
une vague. Ça me fait penser à un vaste océan doucement frappé par la pluie.
Moi, je suis un marin solitaire debout sur le pont. Elle, elle est la mer. Le
ciel est tout gris et à l’horizon, devant nous, il se confond avec la mer,
grise elle aussi. Il devient très difficile de les distinguer l’un de l’autre.
Difficile aussi de distinguer le marin. Et difficile de distinguer ses
fantasmes de la réalité.
Chaque fois que je
saisis un volume et l’ouvre, il s’échappe d’entre les pages un parfum du temps
passé. Les connaissances profondes, les émotions intenses qui reposent derrière
ces couvertures ont une odeur particulière.
Nakata ignorait
pourquoi mais la communication passait plus ou moins bien selon les races de
chats. Il était particulièrement difficile d’être sur la même longueur d’onde
que les chats brun tigré. Avec les chats noirs, cela se passait plutôt bien.
C’était avec les siamois qu’il avait les conversations les plus fluides mais,
malheureusement, l’occasion ne se présentait pas souvent car on rencontrait peu
de siamois errants dans les rues.
Les œuvres qui
possèdent une sorte d’imperfection sont celles qui parlent le plus à nos cœurs,
précisément parce qu’elles sont imparfaites.
Un sens de
l’imperfection, s’il est artistique, intense, stimule ta conscience, maintient
ton esprit en alerte. Si j’écoute l’interprétation parfaite d’un morceau
parfait en conduisant, je risque de fermer les yeux et d’avoir envie de mourir
dans l’instant. Mais quand j’écoute attentivement cette sonate, je peux
entendre les limites de ce que les humains sont capables de créer, je sens
qu’un certain type de perfection peut être atteint avec humilité, à travers une
accumulation d’imperfections. Et personnellement, je trouve ça plutôt
encourageant.
Quelque chose dans
cette forêt évoquait une obscure magie préhistorique. Les arbres règnent sur
ces bois, tout comme les créatures vivant au fond des océans règnent sur les
abysses. La forêt peut me rejeter ou m’avaler, selon ses besoins. Il vaut mieux
garder une crainte révérencieuse envers ces arbres.
Tel que tu me vois,
j’ai été victime de discriminations diverses dans ma vie, poursuit-il. Seuls
ceux qui en ont subi eux-mêmes savent à quel point cela peut blesser. Chacun
souffre à sa façon et ses cicatrices lui sont personnelles. Je pense que j’ai
soif d’égalité et de justice autant que n’importe qui. Mais je déteste
par-dessus tout les gens qui manquent d’imagination. Ceux que T. S. Eliot
appelait « les hommes vides ». Ils bouchent leur vide avec des brins de paille
qu’ils ne sentent pas, et ne se rendent pas compte de ce qu’ils font. Et avec
leurs mots creux, ils essaient d’imposer leur propre insensibilité aux autres.
Comme nos deux visiteuses de tout à l’heure.
Sans doute que
personne ne croira à une hypothèse aussi ridicule. Mais si aucune antithèse ne
vient réfuter une hypothèse, aucun progrès scientifique n’est possible. C’est
ce que mon père disait toujours. Une antithèse, c’est un champ de bataille dans
le cerveau, voilà ce qu’il disait. Il répétait cette phrase comme une litanie.
Et pour l’instant, je ne vois pas la moindre antithèse à opposer à cette
supposition.
Une révélation, ça
dépasse les bornes du quotidien. Que serait la vie, sans les révélations
divines, je te demande un peu ? C’est important de franchir le pas, de passer
de la raison qui observe à la raison qui agit. Tu comprends ce que je te dis ou
non, bougre d’âne ? Non mais, qui m’a fichu un imbécile pareil ! — Vous voulez
parler de l’échange et de la projection du soi sur l’objet ? fit timidement
Hoshino. — Exactement. Content que tu comprennes au moins ça. Tout est là.
Le jeune routier
enleva le tissu, de façon à ce que la pierre soit bien visible. Puis il enfila
un peignoir, et se mit au lit. Il sombra instantanément dans le sommeil. Dieu
lui apparut un court instant en rêve : il était en short, ses mollets poilus à
l’air, et traversait un terrain de sport en courant, un sifflet entre les
lèvres.
Comme dans une scène
mythologique, la musique décrit le passé obscur d’un homme sans nom et sans
visage – un passé dont tous les détails sont tirés des ténèbres comme des
entrailles se déroulant à l’infini.
j’interprète cette
musique. Le son patiemment répétitif démolit peu à peu le réel, puis le
recompose. Il y a dans cette mélodie un subtil parfum hypnotique de danger,
exactement comme dans cette forêt.
Elle n’aurait jamais
dû t’abandonner, et tu n’aurais jamais dû être abandonné par elle. Mais le
passé, c’est comme une assiette brisée : on aura beau tenter d’en recoller les
morceaux, on ne pourra jamais lui rendre son aspect d’antan.
Dans notre esprit,
il y a une petite pièce dans laquelle nous stockons le souvenir de toutes ces
occasions perdues. Une pièce avec des rayonnages, comme dans cette
bibliothèque, j’imagine. Et il faut que nous fabriquions un index, avec des
cartes de références, pour connaître précisément ce qu’il y a dans nos cœurs.
Il faut aussi balayer cette pièce, l’aérer, changer l’eau des fleurs. En
d’autres termes, tu devras vivre dans ta propre bibliothèque.
Le temps pèse sur
toi comme un vieux rêve au sens multiple. Tu continues à avancer pour traverser
ce temps. Mais tu auras beau aller jusqu’au bord du monde, tu ne lui échapperas
pas. Pourtant, même ainsi, il te faudra aller jusqu’au bord du monde. Parce qu’il
est parfois impossible de faire autrement.
Je me suis toujours demandée : "Pourquoi Kafka" ? Le ton du livre ?
RépondreSupprimerKafka voudrait dire Corbeau en Hongrois, et "le garçon nommé corbeau" est l'ami imaginaire du héros qui se fait appeler "Kafka Tamura".
SupprimerLe ton du livre est plutôt dans la poésie et le rêve et reste léger bien qu'étrange et parfois grave.
D'accord, il n'y a donc pas de rapport avec le très connu Kafka... ;)
SupprimerQuoiqu'on puisse faire un lien avec l'atmosphère et le ton du livre, j'imagine...
Bonjour, joli blog. :)
RépondreSupprimerCa fait un petit moment que j'ai envie de le lire celui-là (depuis que j'ai lu 1Q84 en fait), votre avis ne fait que me conforter dans mon idée.