mardi 26 juin 2012

Kafka sur le rivage - Haruki Murakami

Présentation de l'éditeur :

Un adolescent, Kafka Tamura, quitte la maison familiale de Tokyo pour échapper à une malédiction œdipienne proférée par son père. De l'autre côté de l'archipel, Nakata, un vieil homme amnésique, décide lui aussi de prendre la route. Leurs deux destinées s'entremêlent pour devenir le miroir l'une de l'autre, tandis que, sur leur chemin, la réalité bruisse d'un murmure envoûtant.


Mon avis :


Un adolescent qui fugue pour fuir une prédiction, un ami imaginaire nommé corbeau, un vieil homme qui parle avec les chats, un chauffeur de poids lourds généreux, un bibliothécaire androgyne, une directrice de bibliothèque au lourd passé,  d'étranges créatures venues d'on ne sait où, ajouter une grosse pincée  du mythe d'Œdipe et vous obtenez ce magnifique "Kafka sur le rivage" de Murakami.
J'ai adoré d'un bout à l'autre. On est bien dans le même genre d'univers que 1Q84, une grosse partie de réalité bien terre à terre et puis soudain on bascule dans un fantastique extrêmement poétique parfaitement intégré à l'histoire. Même les personnages parlent de métaphores pour ce qu'ils vivent.
Certains ont parlé de "conte philosophique", oui, on peut parfaitement le voir comme cela, les problématiques évoquées sont universelles : le désir, l'amour, la mort, la vieillesse … Mais dois-je en dire plus ?
Non, le mieux à faire est de le lire, de rentrer dans ce merveilleux univers poétique et peut être y trouverez vous aussi de belles leçons de vie.

Au fil de la lecture : 
 
 Je regarde sa poitrine. À chacune de ses respirations, cette partie ronde de son anatomie se soulève et s’abaisse comme une vague. Ça me fait penser à un vaste océan doucement frappé par la pluie. Moi, je suis un marin solitaire debout sur le pont. Elle, elle est la mer. Le ciel est tout gris et à l’horizon, devant nous, il se confond avec la mer, grise elle aussi. Il devient très difficile de les distinguer l’un de l’autre. Difficile aussi de distinguer le marin. Et difficile de distinguer ses fantasmes de la réalité.

Chaque fois que je saisis un volume et l’ouvre, il s’échappe d’entre les pages un parfum du temps passé. Les connaissances profondes, les émotions intenses qui reposent derrière ces couvertures ont une odeur particulière.

Nakata ignorait pourquoi mais la communication passait plus ou moins bien selon les races de chats. Il était particulièrement difficile d’être sur la même longueur d’onde que les chats brun tigré. Avec les chats noirs, cela se passait plutôt bien. C’était avec les siamois qu’il avait les conversations les plus fluides mais, malheureusement, l’occasion ne se présentait pas souvent car on rencontrait peu de siamois errants dans les rues.

Les œuvres qui possèdent une sorte d’imperfection sont celles qui parlent le plus à nos cœurs, précisément parce qu’elles sont imparfaites.

Un sens de l’imperfection, s’il est artistique, intense, stimule ta conscience, maintient ton esprit en alerte. Si j’écoute l’interprétation parfaite d’un morceau parfait en conduisant, je risque de fermer les yeux et d’avoir envie de mourir dans l’instant. Mais quand j’écoute attentivement cette sonate, je peux entendre les limites de ce que les humains sont capables de créer, je sens qu’un certain type de perfection peut être atteint avec humilité, à travers une accumulation d’imperfections. Et personnellement, je trouve ça plutôt encourageant.

Quelque chose dans cette forêt évoquait une obscure magie préhistorique. Les arbres règnent sur ces bois, tout comme les créatures vivant au fond des océans règnent sur les abysses. La forêt peut me rejeter ou m’avaler, selon ses besoins. Il vaut mieux garder une crainte révérencieuse envers ces arbres.

Tel que tu me vois, j’ai été victime de discriminations diverses dans ma vie, poursuit-il. Seuls ceux qui en ont subi eux-mêmes savent à quel point cela peut blesser. Chacun souffre à sa façon et ses cicatrices lui sont personnelles. Je pense que j’ai soif d’égalité et de justice autant que n’importe qui. Mais je déteste par-dessus tout les gens qui manquent d’imagination. Ceux que T. S. Eliot appelait « les hommes vides ». Ils bouchent leur vide avec des brins de paille qu’ils ne sentent pas, et ne se rendent pas compte de ce qu’ils font. Et avec leurs mots creux, ils essaient d’imposer leur propre insensibilité aux autres. Comme nos deux visiteuses de tout à l’heure.

Sans doute que personne ne croira à une hypothèse aussi ridicule. Mais si aucune antithèse ne vient réfuter une hypothèse, aucun progrès scientifique n’est possible. C’est ce que mon père disait toujours. Une antithèse, c’est un champ de bataille dans le cerveau, voilà ce qu’il disait. Il répétait cette phrase comme une litanie. Et pour l’instant, je ne vois pas la moindre antithèse à opposer à cette supposition.

Une révélation, ça dépasse les bornes du quotidien. Que serait la vie, sans les révélations divines, je te demande un peu ? C’est important de franchir le pas, de passer de la raison qui observe à la raison qui agit. Tu comprends ce que je te dis ou non, bougre d’âne ? Non mais, qui m’a fichu un imbécile pareil ! — Vous voulez parler de l’échange et de la projection du soi sur l’objet ? fit timidement Hoshino. — Exactement. Content que tu comprennes au moins ça. Tout est là.

Le jeune routier enleva le tissu, de façon à ce que la pierre soit bien visible. Puis il enfila un peignoir, et se mit au lit. Il sombra instantanément dans le sommeil. Dieu lui apparut un court instant en rêve : il était en short, ses mollets poilus à l’air, et traversait un terrain de sport en courant, un sifflet entre les lèvres.

Comme dans une scène mythologique, la musique décrit le passé obscur d’un homme sans nom et sans visage – un passé dont tous les détails sont tirés des ténèbres comme des entrailles se déroulant à l’infini.

j’interprète cette musique. Le son patiemment répétitif démolit peu à peu le réel, puis le recompose. Il y a dans cette mélodie un subtil parfum hypnotique de danger, exactement comme dans cette forêt.

Elle n’aurait jamais dû t’abandonner, et tu n’aurais jamais dû être abandonné par elle. Mais le passé, c’est comme une assiette brisée : on aura beau tenter d’en recoller les morceaux, on ne pourra jamais lui rendre son aspect d’antan.

Dans notre esprit, il y a une petite pièce dans laquelle nous stockons le souvenir de toutes ces occasions perdues. Une pièce avec des rayonnages, comme dans cette bibliothèque, j’imagine. Et il faut que nous fabriquions un index, avec des cartes de références, pour connaître précisément ce qu’il y a dans nos cœurs. Il faut aussi balayer cette pièce, l’aérer, changer l’eau des fleurs. En d’autres termes, tu devras vivre dans ta propre bibliothèque.

Le temps pèse sur toi comme un vieux rêve au sens multiple. Tu continues à avancer pour traverser ce temps. Mais tu auras beau aller jusqu’au bord du monde, tu ne lui échapperas pas. Pourtant, même ainsi, il te faudra aller jusqu’au bord du monde. Parce qu’il est parfois impossible de faire autrement.

4 commentaires:

  1. Je me suis toujours demandée : "Pourquoi Kafka" ? Le ton du livre ?

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    1. Kafka voudrait dire Corbeau en Hongrois, et "le garçon nommé corbeau" est l'ami imaginaire du héros qui se fait appeler "Kafka Tamura".
      Le ton du livre est plutôt dans la poésie et le rêve et reste léger bien qu'étrange et parfois grave.

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    2. D'accord, il n'y a donc pas de rapport avec le très connu Kafka... ;)
      Quoiqu'on puisse faire un lien avec l'atmosphère et le ton du livre, j'imagine...

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  2. Bonjour, joli blog. :)
    Ca fait un petit moment que j'ai envie de le lire celui-là (depuis que j'ai lu 1Q84 en fait), votre avis ne fait que me conforter dans mon idée.

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